Ariane Moffatt, artiste québécoise à la conquête de la France

Ma musicale a eu l’immense privilège de rencontrer Ariane Moffatt, lors de la promo de son 5ème album, 22h22. Déjà 15 ans de carrière pour cette grande artiste canadienne aux multiples récompenses.

Bonjour Ariane

Bonjour Mamusicale

Ta manière d’écrire et de composer sont-elles différentes depuis la naissance de tes enfants ?

Oui, le processus de création a radicalement changé c’est-à-dire que tout à coup il y a une liberté qui se perd, les horaires sont très circonscrits, et ça m’a obligée à être dans une routine d’écriture plus serrée, de manière plus contrôlée, pour faire en sorte que ma vie puisse encore tenir debout. Et dans ce sens-là, ça m’a demandé plus de rigueur et d’organisation, mais au final j’ai réussi à travailler plus fort peut être que si j’étais dans l’oisiveté.

Quelles ont été tes sources d’inspiration pour cet album ?

C’est un peu un album photo polaroid d’un court moment, ce passage le plus important de ma vie, en passant par la maternité et ensuite la naissance de mes jumeaux. C’est un état d’esprit nouveau, avec le manque de sommeil on perd un peu les repères du quotidien ; en découlent des questionnements un peu plus existentialistes pour ma part. L’idée de faire une forme de bilan de vie, de parler un peu plus du passé, de parler de la mort qui est au bout de notre aventure de vie.  J’ai essayé de brasser toutes ces émotions de manière lumineuse et pas trop plombante.

Avec qui as-tu collaboré sur cet album ?

J’ai collaboré et coréalisé en petite équipe avec mon meilleur ami d’Angoulême, Jean-Phi Goncalves, avec qui j’avais déjà collaboré sur l’album « tous les sens ». J’ai commencé à faire la musique en studio seule et après 6 mois de recherche et de maquettes, je lui ai présenté mon travail et il a amené çà à un autre niveau, avec le recul que j’avais moins. J’ai également collaboré avec François Lafontaine qui réalise beaucoup d’albums au Canada et qui a amené sa patte et ce côté très planant au niveau du clavier.

Sur l’album « MA », il y avait quelques chansons en anglais, sur celui-ci toutes les chansons sont en français ? Est-ce un choix ?

C’est un choix réfléchi car l’album « MA » allait avec l’étape de vie dans laquelle je me trouvais. Pour moi c’était impératif de revenir à ma langue maternelle pour celui-ci parce que c’est ma langue de l’intériorité, de l’intimité, c’est la langue où je me sens le plus près de qui je suis, et pour traiter de sujets plus personnels, j’avais besoin de le faire en aisance totale.

Pour la partie scénique, tu as collaboré avec Marie Brassard, comment s’est passée votre rencontre ?

C’était comme un rêve pour moi de l’imaginer un peu comme un mentor. Elle ne vient pas de la musique, c’est une dramaturge, une actrice, mais elle implique beaucoup la musique dans ce qu’elle fait. Elle a toujours des propositions hors circuit, très originales et personnelles et pas nécessairement consensuelles, et j’ai toujours adoré son travail. Je me suis dit que l’univers de nuit, l’univers rêveur de cet album pourrait tout à fait correspondre au type de créativité de Marie. Elle a plus abordé de front le contenu de la vidéo, l’ambiance, l’esthétique du concert, plutôt  que de me dire qu’est-ce que tu pourrais dire dans telle ou telle chanson.  Et le résultat final est très convaincant pour moi.

En la rencontrant avais-tu déjà une idée de ce que tu voulais faire où t’es-tu laissée guider ?

Je me suis laissée guider, mais on a beaucoup discuté en amont. Elle était déjà présente avant même d’avoir fini de choisir les chansons finales de l’album. Je l’ai rencontrée alors que j’étais encore en studio, elle a donc pu embarquer dans l’univers de 22h22 assez tôt, ce qui a fait qu’on n’était pas dans des mondes étrangers. Ça a facilité le travail d’image.

Tu as été coach dans « La voix », comment as-tu vécu l’expérience et serais-tu prête à recommencer ?

Je renouvelle après 4 ans. Je fais la blague à chaque fois, c’est comme les olympiques. J’ai participé à la première édition et là j’y retourne en rentrant au Québec. C’est une expérience que j’aime, qui m’interpelle différemment de mon métier d’auteur compositeur sur scène. C’est comme un complément. Je vois plus ça comme un show télé que comme un show musical même si la musique est au cœur. J’adore l’idée des auditions à l’aveugle. A notre époque où tout passe beaucoup par la télé, c’est possible d’accompagner des artistes qui ont un talent, et j’aime l’idée de les aider dans leur démarche, tout en leur disant que ce métier n’est pas facile et qu’ils peuvent être zappés du jour au lendemain.

Tu as fait un duo avec Mathieu Chedid il y a quelques années, avec quel autre artiste français aimerais-tu chanter ?

J’adore Bertrand Belin. C’est quelqu’un que je trouve fantastique. Sinon, en entrevue croisée, j’ai exprimé mon affection pour la musique de Christine and the Queens, et tout de suite elle m’a répondu qu’elle aussi aimait mon univers, donc il y aura peut-être quelque chose un jour. J’aime bien Jeanne Added en ce moment aussi. On m’a dit grand bien également de Flavien Berger. Il y a de beaux talents sur la scène française.

Tu as vécu  quelque temps en France, qu’est ce qui te plait ici ?

La différence de style de vie par rapport à chez nous, je trouve que c’est un privilège d’arriver et d’avoir une carrière différente où je suis moins connue. Je fais des concerts dans des salles plus petites, mais il y a quelque chose de rafraîchissant dans le fait de renouer mes vœux avec ma passion de la musique. Sinon, j’adore la ville, le bouillonnement culturel, le côté européen qui change de notre style de vie américain.

Tu as écrit pour Amandine Bourgeois, en quoi cela diffère-t-il d’écrire pour les autres ?

J’avoue trouver ça assez difficile d’écrire pour les autres. C’est un défi à chaque fois de vouloir dire les bons mots pour être en phase avec ce que l’interprète va chanter. Je ne l’ai pas fait souvent, et pour Amandine, je l’ai fait avec mon ami Franck Dewaere, on a travaillé ensemble sur le texte, et ça a été une bonne expérience car au final Amandine en a fait son premier extrait. Je crois qu’elle s’est sentie bien servie dans cette expérience-là. Je ne sais pas si j’aurai l’occasion de le refaire mais c’est un bon exercice de distanciation.

Depuis le début de ta carrière, quelle personne ou quel événement a-t-il eu une grande importance pour toi ?

La rencontre avec Mathieu Chedid. C’était après mon premier album, je me remettais beaucoup en question. Mathieu m’a présenté beaucoup  de gens de la scène française et ça a été pour moi un acte très généreux, très rassurant. Ce sont de très bons souvenirs et on est toujours en contact.  J’ai eu plein de moments forts dans ma carrière. Je suis allée en Chine durant l’exposition universelle en 2010, j’ai fait un concert à Shanghai et ça a été un grand choc culturel. Je suis allée au Brésil, en Roumanie. Toutes ces expériences de rencontres culturelles reliées à mon travail sont des moments très marquants pour moi.

Après 15 ans de carrière et 5 albums, quel auto-bilan pourrais-tu faire ?

Je suis très contente de pouvoir continuer dans ma passion et de savoir qu’il y a une pérennité dans ma carrière. Je fais des albums très différents les uns des autres, et c’est pour moi un grand défi de capter l’attention du public. J’adore toujours autant cet échange même après toutes ces années.

Y a-t-il quelque chose qui te manque dans ta carrière, de quoi rêverais-tu ?

Je rêverais d’avoir une plus grande visibilité en France. J’accepte ce qui se passe mais j’aimerais beaucoup toucher le public français. Je suis déjà très contente et très chanceuse qu’il y ait un public ici en France même si c’est à plus petite échelle qu’au Québec.
Tu es une nouvelle fois en nomination dans plusieurs catégories à l’Adisq, es-tu blasée ou plutôt contente ?

Je suis super contente à chaque fois. On ne se lasse pas d’avoir une reconnaissance de son milieu. Après je trouve absurde et aberrant que certains artistes que j’aime n’en n’aient pas, alors je relativise la valeur de tout ça. C’est sûr que lorsqu’on sent qu’on est parmi les choyés, ça fait vraiment plaisir.

Parmi toutes tes chansons, laquelle pourrais-tu écouter en boucle ?

Quand je fais des albums, je suis tellement impliquée que c’est rare que je les réécoute après. Egoïstement, je ne serai pas capable de me focaliser sur une chanson et surtout à répétition. En général, je ne suis pas trop en combat avec les albums ou les chansons du passé.

Tu as reçu le prix de la lutte contre l’homophobie en 2013, te sens-tu l’âme d’une porte-parole ?

Non pas du tout, mais je me sens l’âme en liberté et très assumée par rapport à ma vie, donc c’est plus facile qu’avant de partager ma situation de maman dans l’homoparentalité, d’avoir pour but de normaliser cette situation. Sans être une porte-parole, je pense que j’ai quand même un rôle à jouer afin de faire comprendre qu’en 2015 l’homophobie existe encore, c’est complètement décalé et complètement fou. Alors si je peux communiquer, et essayer de briser la peur de la différence, je le ferai. Quand je vois encore des gamins au Québec  qui se font tabasser parce qu’ils sont gays il n’y a pas si longtemps, je trouve ça terrifiant. Il y a des choses dans notre société sur lesquelles on n’a pas beaucoup d’emprise, où on est impuissant, mais là je pense qu’un travail d’éducation peut se faire et ce n’est pas vrai qu’on ne peut rien changer, alors oui si je peux participer, c’est naturel pour moi.

Quelques questions sur toi :

Une odeur que tu aimes ?
Ça reste le feu de foyer en hiver, quand tu craques l’allumette dans le feu.

Quel est ton secret beauté ?
Ce sont des petits plaisirs personnels comme se faire les ongles, aller chez l’esthéticienne, des petites choses qui nous font nous sentir bien.

Une chose que l’on ne sait pas sur toi ?
Je suis assez impatiente. C’est un aspect de ma personnalité qu’on ne voit pas forcément quand on me rencontre.

Quel super pouvoir aimerais-tu avoir ?
J’aimerais pourvoir rétablir dans le monde les grandes inégalités par rapport à la pauvreté, par rapport à la situation de certains enfants, par rapport à des sous qu’on met dans certaines choses alors qu’on devrait les mettre dans d’autres. Je voudrais rebrasser la sauce pour que tout le monde puisse avoir des chances égales de se réaliser.

Pour en revenir à ton actualité, tu es le 10 décembre à la Gaité Lyrique à Paris, as-tu d’autres dates de prévu ?

Dans la foulée, en décembre, j’ai une dizaine de dates en France et en Belgique. Tout est sur le site.

Merci beaucoup Ariane et à très vite sur scène pour découvrir ce dernier album 22h22. Toutes les infos sur arianemoffatt.com

Merci Mamusicale