Interview Yvan Le Bolloc’h : un breton entré en gitanie

On ne présente plus Yvan Le Bolloc’h, un artiste complet. Homme de radio, de télé, de cinéma, de théâtre, et de musique. Il revient avec la sortie du 4ème album de son groupe « Ma guitare s’appelle revient ». Pour ce breton originaire du Finistère, la musique gitane est rentrée dans sa vie très jeune.

Quelle est la personne pour qui vous avez un énorme respect et qui vous a aidé dans votre carrière artistique ?

Je dirais Alain Sachs, le metteur en scène. Et Bruno Solo qui est un ami très cher. Il a veillé à entretenir cette amitié, et c’est un couple qui dure dans une belle harmonie.

Vous êtes un touche à tout, vous avez fait de la radio, du théâtre, du cinéma, de la télé, qu’est-ce qui vous pousse à diversifier vos activités ?

Je fais partie de ce qu’on appelle les hyperactifs, et peut-être est-ce aussi une course à la légitimité, et plus vous multipliez les domaines d’activités, plus vous multipliez les reconnaissances, les assentiments, et la légitimité. Nous les artistes, sommes toujours à la recherche de cette reconnaissance. Je cherche surtout à avoir des émotions différentes dans mes diverses activités. Je pense que ça vient aussi de mes racines bretonnes car nous les bretons sommes de grands sentimentaux.

Justement vous qui êtes breton, qu’est-ce qui vous a touché dans la musique gitane, est-ce leur mélodie ou leur état d’esprit ?

Ce sont les deux puisque l’un et l’autre sont liés. Vous avez une musique ancestrale, je parle du flamenco, puisque la musique gitane est la musique pratiquée par les gitans, directement inspirée de Manitas de Plata, qui lui-même s’est inspiré en Espagne de Peret (de son vrai nom Pedro Pubill Calaf), qui est l’inventeur de « el ventilador », cette technique du compas de la main droite. Et derrière cette musique de rumba flamenca, il y a la condition de gitan, c’est-à-dire, une population montrée du doigt, des familles exclues de certains endroits sans ménagements et accusées de tous les maux, à qui on a imposé un livret de circulation qu’ils devaient aller tamponner à la gendarmerie pour pouvoir se déplacer.

Cela a-t-il été facile de vous intégrer dans ce milieu, et que représente la culture gitane pour vous ?

J’ai toujours veillé à ne pas trahir. J’ai bien la sensation de pérenniser cette culture et cette musique-là. Pour moi il y a un engagement et une ligne de conduite. Ma plus grande fierté est quand je croise les Gipsy Kings et qu’ils me disent « tu n’as jamais trahi notre musique ». Il y a une phrase que j’aime bien et qui représente l’état d’esprit de beaucoup de gitans, ils disent « jamais plus heureux qu’aujourd’hui ». Ça veut dire que le passé est oublié, on le laisse derrière soi, l’avenir on ne sait pas de quoi il sera fait, donc ce qui compte c’est le moment présent qu’on est en train de vivre. Ce qui me touche aussi beaucoup chez eux, c’est qu’ils n’abandonnent jamais leurs vieux, vous ne verrez jamais de gitans dans les maisons de retraite. Et l’enfance est sacralisée, peut-être un peu trop pour nous occidentaux, les enfants sont rois, au vrai sens du terme.

Votre groupe « Ma guitare s’appelle revient » existe depuis 2006, comment vous est venue l’idée de monter ce groupe ?

Un musicien tout seul se fait vite chier. La musique est un sport collectif, et mon équilibre passe par le partage. Très vite je me suis aperçu que les gitans, qui font ma famille aujourd’hui, avaient des morceaux et avaient la qualité de composer, ce qui à mon sens ne pouvaient pas rester au stade de juste jouer à la terrasse du café du coin. La chanson « mi café » par exemple, pour moi, est un tube. J’étais en pleine période d’apprentissage de la guitare. Je tournais un film dans le Sud, à Agde, avec Jean-Pierre Mocky. J’ai demandé au régisseur de me présenter un ou deux gitans, et c’est comme ça que j’ai rencontré Patrick Baptiste qui est toujours le soliste du groupe aujourd’hui, et Yanis Patrac, le chanteur des débuts. L’amitié est née entre nous trois. Ils étaient très étonnés de voir qu’un breton connaissait quelques trucs sur leur culture musicale. On a fondé le groupe et j’ai aussi embarqué mon épouse dans l’aventure. Et trois mois plus tard Stéphane Bern m’appelle en urgence pour venir sur le plateau de Nulle part ailleurs où on a joué « Mi café ».

Comment se passent les compositions ?

Chacun amène un bout de refrain, un bout de couplet, c’est jamais une intro bizarrement. Le thème principal de la musique gitane c’est l’amour, l’amour déçu, l’amour perdu, l’amour retrouvé etc… Mais depuis peu on essaye d’élargir les thématiques, comme la chanson « El niño del Finisterio » qui parle de la rencontre d’un jeune gars du Finistère avec des gitans de Béziers, ou la chanson « Humanidad » qui évoque le monde d’aujourd’hui et l’état dans lequel il se trouve.

Vous avez fait quelques reprises comme « les mots bleus » de Christophe, et la chanson de Barry White « Let the music play », comment se fait le choix des reprises ?

Un soir de concert, lors d’un repas, j’ai lancé l’idée de faire une reprise sans avoir de titre dans la tête. Et Franck, l’éclairagiste, a tout de suite dit « les mots bleus ». On ne le sait pas toujours, mais la reprise est une spécialité des gitans, prenez l’exemple de « My Way » par les Gipsy Kings. Avec ce qu’ils en ont fait, la chanson a décuplé son pouvoir. C’est ma chanson préférée des Gipsy. Pour la reprise de Barry White, Franck Baptiste est un enfant de la télé et il a été très marqué par la séquence de Jamel devant Barry White il y a quelques années. Voir ce gamin de banlieue fondre complètement devant ce monstre sacré de la chanson, ça l’a beaucoup marqué. On adore aussi reprendre la chanson « Fragile » de Sting.

Comment est né le groupe ?

On a eu une maison de disque pour le premier album, après ça s’est arrêté. On était face à une directrice chez Columbia, qui s’appelle Valérie Michelin et qui nous a dit « je ne suis pas la femme d’un single », elle parlait de « Mi café », et elle nous a demandé de venir quelques jours plus tard avec au moins 7 titres, et j’ai dit ok. Ça nous a forcé à composer et à travailler sur plusieurs titres, pour envisager un peu le long terme. Et qui dit album dit passage sur scène évidemment. Je crois que monter sur scène est grisant pour tous les artistes, c’est une sensation incroyable.

Comment vous est venu ce nom de « Ma guitare s’appelle revient » ? Et qui sont les membres du groupe ?

Gipsy Kings était déjà pris (rires). Un soir on a fait une énorme fête où on a un peu appuyé sur la craie, comme on dit en Bretagne. J’ai eu la flemme de sortir les guitares de la voiture le soir, je les ai laissé sur le parking, je pense même que j’ai laissé la fenêtre ouverte, et le lendemain matin il n’y avait plus de guitares. Les gitans ont eu peur que je les accuse. Ils se sont cotisés, et m’ont offert une nouvelle guitare, que j’ai toujours d’ailleurs. C’est ce qui a donné le nom du groupe. Les personnes qui forment le groupe avec moi sont Anouchka Lenders mon épouse, Patrick Baptiste, Xavier Sanchez, Gaël Garcia, Javier Fernandez, et Bernard Menu.

Quels sont les sentiments et les ressentis, qu’ils soient différents ou identiques, quand vous êtes sur scène au théâtre et sur scène avec votre groupe ?

En musique c’est la sensation d’humilité. Autant je suis plus à l’aise en jouant la comédie on en faisant mon métier de metteur en scène, car ce sont des domaines que je maîtrise pas mal, autant quand je suis sur scène avec le groupe, c’est moi qui écoute car je suis entouré de mecs qui envoient dix fois plus que moi techniquement et musicalement parlant. Comme j’ai du mal avec le lâcher-prise, je m’arrange pour monter des spectacles qui lient la comédie et la musique. On a déjà fait 2 spectacles avec 40% de comédie et 60% de musique. Le premier c’était « tous les chemins mènent  aux roms », le deuxième s’était « Faut pas rester là ! » et un troisième spectacle est en cours de préparation.

Vous avez embarqué votre épouse dans l’aventure, comment s’est faite son intégration ?

Ma femme a une formation de chanteuse jazz rythm and blues. La bande originale de notre histoire d’amour c’est la musique gitane. On écoutait ça sans arrêt. On est ensemble depuis presque 30 ans et c’est ce qui a fondé notre amour. Elle a appris aussi à jouer du compas, et elle joue bien mieux que moi d’ailleurs car elle a cette formation musicale. Elle est avec nous depuis le début et ça donne une touche féminine à un orchestre gitan, ce qui fait de nous le groupe de gitans le plus mixte (rires).

Le single « Esperanza » extrait de ce quatrième album est sorti en juin, et l’album est prévu pour 2021. Comment se prépare la promo ? Après cette période difficile, des dates sont-elles déjà reprogrammées ?

On avance dans le brouillard avec une lampe torche, comme tout le monde. 20 dates ont été annulées. Le single devait sortir en avril, et on l’a décalé. Les dates de concert qui avaient été prises par notre tourneur, Cornolti Production, sont toutes tombées les unes après les autres. En attendant sa sortie, on a mis à disposition le single pour une cagnotte qu’on a ouvert pour les soignants de l’hôpital de Perpignan, car cet hôpital a soigné beaucoup de gitans. Et maintenant que c’est possible, on sort le single. Je me mets à la place des spectateurs et je me dis que ça va être chaud, car pendant le confinement, on avait tout sur place avec les plateformes. Est-ce que les gens vont de nouveau se déplacer, sachant que maintenant on a tout chez soi ? Tout ça pour dire que comme tous les artistes, je suis comme un scout perdu sans boussole dans la forêt de Fontainebleau.

J’ai vu dans certaines vidéos que vous aviez un bien bel ami, qui n’est autre qu’une peluche. Qui est cet animal ?

C’est Helmut le tigre. Helmut était en cage dans une station Total, c’était lors de nos premières tournées. Il nous a fait miaou miaou et on n’a pas résisté, on l’a pris avec nous. Quelquefois quand on me demande ce que je fais, je dis que je suis entraîneur de sumo pour personnes âgées ou dresseur de peluches.

Merci beaucoup Yvan

Merci à vous et je voudrais rajouter ce dicton que disent souvent les gitans et qui me plait tout particulièrement : « tout ce qui n’est pas partagé est perdu »

Retrouvez toute son actu sur yvanlebolloch.net                                                 Crédit photo : Romain Sanchez